Sommet des Nations unies sur les systèmes alimentaires : une occasion manquée de transformer profondément l’agriculture et l’alimentation

Ferme pratiquant l'agroécologie près de Louvain

Autoproclamé « Sommet des peuples », celui-ci n’en porte que le nom. En ne permettant pas une réelle participation des premiers concernés tant par les problèmes que par les solutions à apporter à notre système alimentaire en crise, le Sommet passe à côté de l’opportunité d’impulser un changement de cap radical.

 

Les chiffres sont glaçants : rien qu’en 2020, alors que la pandémie continue à sévir, 10 % de la population mondiale souffrait de la faim et 30 % de malnutrition, avec une proportion grandissante d’enfants. Plus globalement, la production alimentaire mondiale a des impacts dévastateurs sur l’environnement et accélère les changements climatiques. Profondément inégalitaire et inéquitable, c’est l’ensemble de notre système alimentaire qui est à bout de souffle. Le Sommet des Nations unies sur les systèmes alimentaires qui se tiendra le 23 septembre entend apporter une réponse coordonnée à ces défis. Mais pourquoi alors le Sommet est-il critiqué et boycotté de toutes parts ? Pourquoi représente-il en fait un danger pour notre agriculture et notre alimentation de demain ?

 

Sous influence de l’agro-industrie

 

Dès 2019, des centaines d’organisations de la société civile interpellaient le Secrétaire général des Nations unies, António Guterres, sur l’influence de l’agro-industrie dans les orientations prises par le Sommet qui met l’accent sur l’innovation, la digitalisation, la finance, la technologie comme principaux leviers de transformation des systèmes alimentaires. Un événement qui, derrière les paroles sur l’impératif urgent de transformer profondément nos systèmes alimentaires, est devenu la caisse de résonance des solutions préconisées par le Forum économique mondial et de Agra (Alliance pour une Révolution verte en Afrique) dont sa présidente est nommée envoyée spéciale du Sommet. Ceci au détriment de l’immense majorité de celles et ceux qui nourrissent le monde. Transformer ? Oui, mais sans remettre en cause les intérêts établis, les énormes inégalités de pouvoir dans les systèmes alimentaires, ni pour remettre au centre du débat l’objectif premier des systèmes alimentaires : garantir le droit à l’alimentation de toutes et tous, aujourd’hui et demain.

 

Autoproclamé « Sommet des peuples », celui-ci n’en porte que le nom. En ne permettant pas une réelle participation des premiers concernés tant par les problèmes que par les solutions à apporter à notre système alimentaire en crise, le Sommet passe à côté de l’opportunité d’impulser un changement de cap radical afin de relever les défis pressants que sont la faim, la dégradation de l’environnement et le changement climatique.

 

Pire, le risque est grand de voir les États et les institutions internationales se désengager de leurs responsabilités, mettant en avant des coalitions diverses autour des solutions préconisées. Que ce soient la société civile, des coalitions de scientifiques ou encore les Rapporteurs spéciaux des Nations unies, toutes et tous appellent à la même chose : les décisions qui seraient prises au Sommet doivent impérativement être à nouveau débattues démocratiquement au Comité pour la sécurité alimentaire mondiale, principale plateforme internationale pour réaliser le droit à l’alimentation pour tous.

 

Nous conserverons alors une chance de façonner des systèmes alimentaires innovants, justes et durables pour les générations futures. Paradoxalement, la nécessité de s’opposer à ce sommet a permis une convergence historique d’acteurs du système alimentaire de demain, liant les enjeux des systèmes alimentaires, de biodiversité, de changements climatiques, ou de gouvernance. Ce large mouvement pour la souveraineté alimentaire, porté par les paysans, et autres producteurs d’aliments, peuples indigènes, académiques, experts, décideurs, organisations de la société civile et mouvements sociaux, promeut une transition basée sur les droits humains et sur les principes de l’agroécologie. Que ce soit via les pratiques dans les champs, les circuits courts, les coopératives, la relocalisation des systèmes ou grâce aux politiques adoptées au sein de conseils de politique alimentaire citoyens, ou de forums démocratiques et inclusifs.

 

Et la Belgique dans tout ça ?

 

Certaines initiatives et discours politiques sont de plus en plus favorables à une transformation profonde des systèmes alimentaires, ce qui est réjouissant. Mais malheureusement, concernant ce Sommet sur les systèmes alimentaires, les préoccupations de la société civile n’ont suscité que peu de débats et de réactions des représentants belges.

 

L’histoire nous a toujours enseigné que les moments de crises structurelles peuvent être soit des opportunités de transformation radicale, soit des risques de consolidation de pouvoirs. Cela s’illustre encore aujourd’hui à travers la crise sanitaire mondiale que nous vivons. Nos enfants seront les seuls à savoir si la crise actuelle aura permis – ou non – de les nourrir demain tout en préservant la planète.

 


 

Carte blanche parue dans La Libre le 23 septembre 2021 et signée au nom de la plateforme belge Coalition contre la faim.

string(25) "wpl_publications_category"
Article précédent

Soutenir l’agroécologie pour transformer les systèmes alimentaires

A l’heure où les grands foras politiques s’intéressent enfin aux systèmes alimentaires durables et à l’agroécologie, de nombreuses...
Plus d'info Télécharger la publication
Article suivant

Guerre en Ukraine : une menace pour la...

Les instabilités du monde font grossir le rang des affamés. Après le Covid-19, c’est la guerre en Ukraine qui...
Plus d'info